Guy Roël
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Guy, peux-tu me parler de tes origines exactes… puisque je crois que tu es un «régional de l’étape» en ce qui nous concerne (cet entretien a été réalisé à l’occasion de la venue de Guy Roël, dans l’émission "Route 66" à Colmar, nda) ?
En effet, je suis né à quelques kilomètres (trois exactement) de l’Alsace dans le village de Rougemont-le-Château qui se situe sur le versant sud des Vosges. Cet endroit très sympathique, dans la montagne, fait partie du piémont. Je suis issu d’une famille dont le père était alsacien et la mère allemande.

Comme beaucoup de musiciens frontaliers de ta génération, tu as découvert la musique via les bases américaines qui étaient situées en Allemagne…
Je passais toutes mes vacances dans le village de ma mère où je voyais, sans arrêt, passer les convois américains. Ils avaient des t-shirts, des superbes casquettes et des gros tanks, bref ils étaient fantastiques pour le petit garçon que j’étais. J’ai passé des dizaines de milliers d’heures à écouter leur radio et à essayer de comprendre de quoi il s’agissait. C’est comme cela, qu’à l’âge de 8 ou 9 ans, j’ai appris qu’il y avait un gars qui s’appelait Ray Charles. Il m’a, littéralement, fait péter les fusibles !
A partir de ce moment là, j’ai accentué mes recherches sur les petites ondes mais ce n’était pas toujours facile !

Guy Roel

As-tu, immédiatement, eu envie de faire de la musique ?
Dès l’âge de 10 ans, il n’y a plus eu que ça qui comptait pour moi. C’est une chose que je ne peux pas expliquer…

Est-ce par la guitare que tu as commencé ton apprentissage musical ?
Mon frangin en avait une mais je n’avais pas le droit d’y toucher. Si je me permettais de la saisir, je prenais une « tarte » dans la figure. Je pense que cela m’a encore davantage stimulé, d’autant plus que mes parents ne voulaient pas m’offrir une guitare sous le prétexte qu’il y en avait déjà une à la maison.
Mais bon, si je la prenais… je recevais une immédiatement une correction de la part de mon frère…
Ceci dit je m’arrangeais toujours pour la lui «piquer» (rires) !
J'étais un guitariste assez "minable" mais, j'ai été contacté assez rapidement par un groupe de rock'n'roll qui venait de se former (Les Vicomtes, nda). J'ai eu la chance de l'intégrer mais, comme j'étais le plus jeune, ainsi que le mois expérimenté Jean-Paul Wagner (leader du groupe) m'a mis à la basse après m'avoir appris les rudiments de cet instrument. C'est ainsi que ça a commencé et ça a tout de suite marché.

L'une de tes autres rencontres déterminantes, à cette époque là, a été celle de Gérard Jelsch (futur batteur du groupe Ange) je crois...

Oui, nous étions une bande de guitaristes sur Rougemont-Le-Château. Gérard, qui avait 13 ou 14 ans, venait depuis Belfort avec son Solex afin de répéter avec nous. C'est incroyable, la distance était de 15 kilomètres... il fallait le faire (rires) !
Nous buvions des caisses de bière et il dormait dans la grange... c'était très rock'n'roll dans les campagnes à cette époque (rires) !

Tu te produis sous la forme d'un one man band... peux-tu m'expliquer ton célèbre "concept" Gaston Schmidt ?

Ce sont mes pieds !
Mon batteur est, à la fois, mon pied droit et mon pied gauche. Le premier actionne une pédale qui frappe une valise recouverte d'une couverture. Le second simule la caisse claire. Le « backbeat » est le bruit de la semelle, amplifié à travers une plaque de cuisinière en tôle.

Le virus des voyages s'est, très vite, emparé de toi. Jeune, tu es parti à l'aventure tel un "hobo blues". Peux-tu revenir sur ces expériences ?

Au début des années 60 j'étais tombé, à la télévision, sur une émission qui parlait des beatnicks. Je possédais aussi le disque "Au Club St Germain 1958" d'Art Blakey & The Jazz Messengers. Je l'écoutais tous les jours et il m'a donné l'envie de partir à Paris. C'était la seule solution afin de rencontrer des gens qui pensent comme moi. Mon père m'a, « gracieusement », donné 50 francs pour accéder à ce rêve. Il n'y croyait pas mais je l'ai fait...
Sur place j'ai "crevé la dalle" et j'ai fait la manche. Je rentrais, parfois, quand j'étais trop affamé. Ma mère m'ouvrait la porte et je repartais quelques semaines après. Bref, j'ai fait beaucoup de stop et j'ai beaucoup dessiné à la craie sur les trottoirs de la capitale (d'où le titre "Craie et guitare" de mon dernier album en date « Fruits of the Blues »).

En tout cas ces voyages t'ont amené à faire beaucoup de rencontres...
Oui...
Nous dormions sur les Quais et, une nuit, un compagnon de misère m'a réveillé pour me dire "y'a les bleus qui arrivent !".
Ces derniers ramassaient les clochards afin de les passer (déjà) au Karcher.
Nous nous sommes sauvés et sommes tombés sur un gars dénommé Michel (fils d'une grande personnalité politique française du XXème siècle dont les initiales sont P.M.F, nda). Nous avons acheté des croissants et sommes allés boire le café chez lui.
Il compte toujours parmi mes amis...
Il était professeur de mathématiques à la Sorbonne et habitait en face du Club Les Trois Mailletz. De ce fait je voyais Memphis Slim fumer ses cigarettes sur le trottoir à longueur de journées et de soirées.
J'y suis revenu en 1967-68 et j'y ai rencontré un gars que j'admirais à travers ses textes et photos, qui paraissaient chaque mois dans le revue Rock & Folk.
C'était Alain Dister dont je suivais assidument les aventures quand il vivait en communauté en Californie.
Nous habitions dans le même appartement où je croisais aussi Philippe Paringaux (rédacteur en chef de Rock & Folk à l'époque) et le photographe Jean-Pierre Leloir. Ensemble nous refaisions le monde et revivions la grande épopée littéraire de la "Beat Generation".

Dans les années 1970, tu es parti en Scandinavie, pourquoi ce choix ?
Ce n'était pas un choix, je voulais simplement partir...
Le magasin de musique dans lequel je "trainais" m'a permis de rencontrer un groupe italien qui se produisais, chaque été, au Casino de Luxeuil-les-Bains. J'ai remplacé le bassiste d'origine au sein de cette formation. Nous avons fait des concerts sur Rome puis au Danemark.
Tant et si bien que nous nous sommes retrouvés à jouer pour les marins avec des bagarres, tous les soirs...
C'était vraiment la "fête" pour ces types qui travaillaient, souvent, sur des plateformes pétrolières. Ces mois de novembre et décembre, dans cette zone portuaire danoise, restent inoubliables...
Un véritable « Marching Band » descendait la rue principale de la ville à chaque fois qu'il ne pleuvait pas. Cette fanfare défilait donc, environ, 35 fois par an (rires).
C'était une ambiance très noire, il y avait une bagarre tous les soirs.
Les gens pouvaient voler à l'horizontale devant toi (rires) !

En tout cas de belles rencontres t'ont, aussi, marqué en Scandinavie...
Après quelques mois de night clubs et de boites de marins, nous nous sommes retrouvés en Suède. A l'époque c'était le pays dont tout le monde rêvait, notre Californie...
Les musiciens y avaient même des pauses syndicales...
Comme je voulais retrouver des artistes qui gravitaient autour d'une musique moins commerciale, je me suis replongé dans le jazz.
D'ailleurs ma musique a toujours été à cheval entre le blues et le jazz...
Dans les années 1950, mon père me faisait déjà écouter Dizzy Gillespie et Count Basie. Le virus ne date pas d'hier, il vient de loin...
C'était fantastique, à cette époque, de chauffer la salle à manger pour passer les 78 tours du père...
Il n'y avait pas de téloche, ce qui n'était pas plus mal...

Parmi tes rencontres marquantes sur place, nous pouvons citer quelqu'un avec qui tu gardes des contacts, Eric Bibb....
J'ai rencontré Eric alors que je devais avoir 22 ans et lui 20. A cette époque j'étais plongé dans la soul music puisque, en 1974, j'ai participé à l'enregistrement de l'album "Rythm and Blues" de Melvyn Price. Ce disque a connu une carrière dont, jusqu'à peu, je ne soupçonnais pas l'ampleur. Il parait qu’il à inspiré tous les DJ's de la planète, c'est étonnant !
Melvyn est un copain que je revois de temps en temps à Stockholm où il vit toujours.

Eric Bibb avait-il déjà abordé une carrière "folk", à l'image de celle de son père Leon Bibb ?

Oui, absolument, son père était une figure emblématique du "Village" à New-York. C'est quelqu'un que Bob Dylan fréquentait en plein "folk revival" des années 1960. Eric a grandi au cœur de cette atmosphère. Il connaissait aussi bien Arlo Guthrie que Spike Lee qui n'était pas encore devenu le grand cinéaste que nous connaissons aujourd'hui.
Afin d'échapper à la guerre du Vietnam, Eric est venu en France avant de s'installer en Suède. Ce pays était généreux avec les réfugiés et les déserteurs américains.
Quand j'ai rencontré Eric, pour la première fois, j'avais un groupe avec les saxophoniste Ed Epstein qui joue sur mon dernier album "Fruits of the Blues". J'ai été très impressionné par sa voix, cet homme émane une puissance quasi mystique.
Je ne jouais qu'avec des américains, nous avions une carte blanche tous les lundis soirs dans une grande radio de Stockholm. Cela servait de TP à l'école des ingénieurs du son, Eric et moi possédons encore toutes les bandes (rires) !
Dans les années 1970, nous étions à fond dans le mouvement hippie et faisions des blues en 5 ou 7 quarts. Nous expérimentions mais Eric conservait toujours son côté folk, d'ailleurs il utilise toujours une partie de son répertoire de l'époque.
Je jouais aussi avec Cindee Peters, une "Big Mama" spécialiste du gospel. Elle est devenue très connue en Suède où elle à même sa propre émission.
Eric écumait, avec son trio, les petits Clubs de la vieille ville. Je tenais absolument à l'accompagner, je lui ai demandé cette faveur.
Il m'a dit, alors, qu’il ne s’agissait que de petits gigs et qu’il ne lui serait pas possible de me payer… mais cela m'était indifférent !
C'est le seul artiste qui me fait pleurer, quand je l'accompagne, j'ai toujours les larmes qui sortent... c'est très fort, on ne peut pas l'analyser !
J'étais à fond dans la musique d'Herbie Hancock, Weather Report, Chick Corea, Miles Davis et toute la fusion. Aussi rencontrer Eric, avec toute sa simplicité, a été un véritable électrochoc.

Tu as, d'ailleurs, mené carrière dans la fusion en Suède puisqu'en 1975 tu as rejoins le Modern Sound Quintet...
Cela remonte, en fait, à 1972... Rudy Smith tourne toujours avec ses « Steel Drums », il est, d’ailleurs, actuellement à Trinidad avec Ed Epstein.
Tous ces gens font partie de ma famille…
Les amis que l'on a à 20 ans on les garde toute sa vie... Internet nous a aussi aidés afin de renouer nos contacts !

J'aimerais aussi évoquer ta rencontre avec Bob Marley...
Je me suis retrouvé avec un chanteur jamaïcain, Tony, qui se prenait pour Jimi Hendrix. Nous jouions dans un Club sur le port.
Il m'a, un jour, proposé un plan avec un autre chanteur. Un américain nommé Johnny Nash qui avait besoin d'un groupe, car il tournait un film dans la ville. Il y avait un pianiste, John « Rabbit » Bundrick, qui se produit toujours sur la scène anglaise (avec les Who par exemple)... Nous répétions tous les jour dans un Club "in" (Alexandra’s) où même le roi sortait à l'époque.
Un jour un mec était là, ils s'appelait Bob...
Il nous "embêtait" pendant les répétitions, il voulait absolument placer un de ses morceaux. Nous trainions un peu des pieds tant nous étions concentrés sur notre truc à nous.
Nous avons fini par accepter et avons fait quelques concerts avec lui dans des discothèques ou des endroits pour étudiants. Il était virulent et avait des choses à dire, d'un point de vue politique par exemple…
En tant que franc-comtois j'avais, parfois, un peu de mal à adhérer à son discours (rires) !
Un des souvenirs les plus marquants, pour moi, a été de le voir parler à des étudiants. Nous devions monter le matériel en passant par une longue série d'escaliers. Bob était assis en haut des marches et a commencé à parler aux jeunes. Au fil des minutes le groupe, autour de lui, ne cessait de s'agrandir. Le temps que l'on vide notre remorque, il y avait une soixantaine d’étudiants africains autour de lui. Tous l'écoutaient attentivement, ça m'a beaucoup impressionné...
Un capacité de rassemblement qui m'a fait dire "mais c'est Jésus ce mec!" (rires) !
Il n'est resté que 3 semaines à Stockholm et a réussi à faire passer son message à des dizaines de personnes... c'était bluffant...
Quelques années plus tard, toujours avec Tony, nous nous sommes retrouvés sur un grand concert. En écoutant Bob Marley il m'a dit "tu te rends compte, on a joué avec ce gars!".
Je n'en croyais pas mes yeux, j'avais été incapable de le reconnaître. Il faut dire que, lorsque je l'ai rencontré, il avait encore une coupe afro et non ses célèbres dreadlocks.

Après cette période scandinave, qui s'est étalée sur 7 ans, tu as commencé une carrière de session-man durant laquelle tu as joué avec beaucoup de beau monde...

Je ne me souviens pas de tous...
J'ai fait un morceau pour Donna Summer que je n'ai jamais rencontrée. Je crois savoir que ce titre a très bien marché en Angleterre.
Je me suis, aussi, retrouvé dans un groupe très intéressant de "gospel-pop-rock-funk" qui se nommait Delivrance. J'ai écumé l'Allemagne avec eux et me suis, parallèlement, retrouvé musicien de studio pour des plans entre Berlin, Bern, Bâle et Zurich.
Je jouais sur des musiques de films et travaillait avec George Gruntz qui est un très grand compositeur bâlois qui travaille pour des Big Bands.

Est-ce en lançant ta carrière solo que tu es revenu à des sons beaucoup plus "roots" ?
Pour cela , je tiens à évoquer ma rencontre avec Benjamin Tehoval (l'un des premiers "one man band" français, expert en pre-war blues et fin spécialiste de l’univers de Bob Dylan, nda).
Je venais de la fusion et de la musique funk, voir cet "homme orchestre" a provoqué une étincelle, c'était magique. Grâce à lui j'ai renoué avec ma grande passion du blues. Je me suis pris les pattes dedans et je n'ai jamais cessé depuis...

Quand as-tu, réellement, commencé à enregistrer sous ton propre nom ?
Ma première cassette remonte à 1986-87. Elle est très étonnante....
L'autre jour je l'ai convertie numériquement, c'est assez amusant (rires) !
C'était très ambitieux.... mais il n'y avait pas grand chose comme musique !
Pourtant, l'un des titres, a traversé l'Atlantique et est devenu un hit en Uruguay. Je ne sais toujours pas comment il est arrivé là mais il m'a rapporté de l'argent.... D'autant plus qu'il a aussi pas mal tourné dans un autre pays, je ne sais plus si c'est la Malaisie ou un autre...
Bref, l'investissement a largement été rentabilisé. Cela valait donc le coup, même si j'ai beaucoup de mal à écouter cette musique aujourd'hui (rires) !
guy roel


Etait-ce déjà dans la même veine artistique que ce que tu fais actuellement ?
Oui, ça naviguait entre folk, blues et jazz...
De toute façon, je ne peux pas jouer autrement !

As-tu ressenti, depuis quelque temps, un changement dans ton travail... il ne doit pas être aisé de rester un artiste indépendant et libre de faire la musique qui lui plait...

D'un point de vue économique, ce n'est vraiment pas marrant (rires) !
Si je fais un disque aujourd'hui, c'est surtout pour me faire plaisir !
Quand un peintre fait des tableaux, ça ne veut pas dire qu'ils seront vendus.
Mon seul but est, à chaque fois, de pouvoir produire mon prochain CD.

Quels sont tes projets ?
Quelques dates dans les Alpes ainsi qu'une tournée à l'été 2011. Celle-ci se fera en duo avec un contrebassiste, Dominique, avec lequel je joue régulièrement sur la côte Atlantique.
Il est aussi mauvais que moi, donc on s'entend comme deux larrons en foire (rires) !
C'est fabuleux de jouer avec lui, il y a une belle communication. Le public est très réceptif, ce qui nous a permis d'être invités dans plusieurs Festivals.

Aimerais-tu ajouter une conclusion ?
Je suis resté fidèle en amitié. Mon dernier album « Fruits of the Blues » en est un peu l’exemple. On y retrouve, parmi tant d’autres, Ed Epstein que je n’avais pas vu depuis 17 ans. En le ramenant de l’aéroport de Bâle-Mulhouse je me suis rendu compte que c’était comme si nous nous étions quittés la veille.
Quand il est arrivé dans mon jardin et qu’il a vu mon saule pleureur il s’est écrié « Oh, a willow tree! Hey man let’s play! ». Après 10 minutes chez moi son premier reflexe a été de dire « on joue! ».
Nous avons, immédiatement, commencé après nous être installés sous le saule. Cela a duré plusieurs jours…
Les gens du village nous entendaient et nous réclamaient toujours davantage de musique. L’atmosphère était magique…
J'aimerais, aussi, souhaiter une bonne année à toutes les bonnes paires d'oreilles qui écoutent cette émission (enregistrée le 05 janvier 2011, nda). Il faut des gens comme vous pour faire vivre cette musique et un peu les artistes aussi...

www.myspace.com/roelissimo

 
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Interview réalisée au
Studio RDL

le 5 janvier 2011

Propos recueillis par David BAERST

En exclusivité !

 

 

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